Nous aurions beau disposer de plants de choix, condition première de succès, exécuter à la perfection la plantation, distribuer harmonieusement la sève sans violence ni torture, incliner à temps et de la bonne façon les branches en respectant l’œil terminal, appliquer de judicieux traitements, faire des apports d engrais, que sais-je encore? nous aurions beau tout faire très bien... pourtant tout cela ne servirait de rien si, avant d’entreprendre, nous n’avions examiné d’abord très sérieusement et le climat, et le sol, et le sous-sol, qui doivent fournir à nos arbres, leur vie durant, cette ambiance favorable et cette sève généreuse, conditions de rapides et abondantes récoltes en fruits de qualité.
C'est dire le soin qu il faut apporter à choisir l’emplacement du futur verger, à étudier son climat et son micro-climat, cette atmosphère qui baignera feuilles et fruits.
Nous savons qu un rideau de grands arbres brise les vents, froids ou violents, nuisibles à la fécondation ou qui provoquent la chute des fruits; que les vergers plantés sur une pente échappent le plus souvent aux gelées, tandis qu’ils y sont exposés dans les bas-fonds ou les cuvettes, proie facile pour les maladies cryptogamiques. Le climat est donc un facteur de toute première importance, et s il y a des contrées privilégiées, il en est aussi où la culture fruitière serait ruineuse.
Comment juger d'un climat? Voici une méthode bien simple et qui m’a toujours réussi : à chaque fois, je me suis enquis, avant de décider d’une plantation, du sentiment des « bonnes gens » u pays, de ces terriens qui, depuis plusieurs générations, ont vécu et cultivé dans la région. Ils en savent long sur ce qui vient ou ne vient pas « dans le pays », sur les coups de vent néfastes, les risques de gelée, les essais tentés et les résultats obtenus... La rencontre aussi de quelques arbres fruitiers dans le voisinage du champ destiné à recevoir la plantation fournit une indication très précieuse.
Vient ensuite l'examen du sol et du sous-sol. N’a-t-on pas dit qu’ils étaient la « demeure et la table de l’arbre » ? Mal nourri, mal logé, peut-on bien vivre ?
Remarquons d’abord qu’avec la Méthode bouché-thomas, l’étude du sous-sol est plus importante que celle du sol, de la terre arable, travaillée par les instruments; et pour cause nos arbres se constituant par l’affranchissement un système radiculaire plongeant, le sous- sol jouera le rôle majeur dans la nutrition des arbres; sa connaissance sera donc d’autant plus importante que la couche de sol arable sera plus mince. La qualité primordiale d’un sous-sol, c’est sa perméabilité : imperméable, il est impropre à la culture fruitière, car, tôt ou tard, l’asphyxie amènerait le dépérissement, puis la mort du verger[1].
Par conséquent, avant toute plantation, avant même l'analyse physique et chimique des sol et sous-sol, n’hésitons pas à ouvrir une large tranchée, creusons profondément, jusqu'à plus d’un mètre si nécessaire, pour examiner s’il n'existe pas, à une certaine profondeur, un banc d'argile imperméable qui compromettrait la longévité de la plantation: dans ce cas, un seul remède : le drainage. (V. p. 77.)
Prélevons ensuite séparément un kilo de terre de surface et autant de sous-sol, pour les confier à un laboratoire qui en fera l'analyse physique et chimique. Précisons qu’il s'agit d'une analyse à faire en vue d'une plantation fruitière, ce qui lui permettra de dresser le bilan des qualités et des défauts physiques et chimiques de ces deux terres et d'indiquer à la fois les amendements qui s'imposent pour corriger et équilibrer les éléments nécessaires à la parfaite nutrition des arbres et les améliorations physiques à leur apporter pour en tirer le rendement maximum
Cependant, si ces amendements et améliorations devaient entraîner des frais par trop considérables, la simple logique commanderait la recherche de terrains plus favorables ou mieux Situés, faute desquels mieux vaudrait simplement renoncer à la culture fruitière, l'exploitation cessant d’être rentable si les dépenses de premier établissement handicapent trop le planteur.
Ainsi renseigné, le praticien chargé de la plantation du verger pourra, en parfaite connaissance de cause, déterminer les essences, choisir les variétés et préciser les distances de plantation.
Le choix des variétés, d’une importance capitale pour la rentabilité d’un verger, n’est pas aussi simple qu’on pourrait le supposer. Il ne se fait point sur la seule lecture d’un catalogue, même luxueusement édité : sur le papier, tout est beau et les descriptions alléchantes. Mais il y a loin de la réclame à la récolte, du rêve à la réalité; car si telle variété, sous tel climat, assure d’excellentes récoltes, dans telle autre région, sous tel autre climat, elle pourra n’en donner que de pitoyables : « Vérité en deçà des Pyrénées, navet au delà ! »
Pour obtenir qualité, coloration, conservation des fruits, en même temps qu’un rendement suffisant à l’hectare, il est indispensable de ne pas faire fi de certaines conditions. Nous devrions, pour le choix de nos variétés, adopter les règles suivantes :
Le choix des variétés demande donc un examen sérieux, si l’on veut tirer de son sol le maximum de rendement à l’hectare, en qualité comme en quantité, pour le minimum de soins et de temps; examen d’autant plus nécessaire qu’avec le bouché-thomas, une production précoce et abondante est indispensable pour calmer la vigueur naissante de ses arbres affranchis. Notre double cémentation, reçue du laboratoire et recueillie auprès des gens du pays, nous permettra d’en décider en connaissance de cause.
On parle couramment de variétés classées « nationales » et d’autres dites « locales ». Les-quelles choisir? Notre premier mouvement serait d’opter pour celles-là, abondamment décrites et vantées dans catalogues et revues. Assurément, si nous avons le sol, et surtout le climat, capables de nous garantir des récoltes de qualité, fussent-elles de tonnage moyen (20 à 30 tonnes à l’hectare), nous voilà assurés d’en tirer un prix rémunérateur, parce que ces variétés sont très cotées et très demandées sur tous les marchés.
Mais, si nous ne réunissons pas les conditions requises pour obtenir des fruits de grande classe avec les variétés « nationales », et cela est plus fréquent qu’on ne le soupçonne, j’estime qu’il est préférable de nous tourner alors vers les bonnes variétés « locales », ces enfants chéris d’une région, parce qu’admirablement adaptées au climat et au sol qui les ont vu naître, à leur « terroir », elles y ont fait leurs preuves, et qu’un tonnage élevé en permettra la vente assurée à un prix accessible aux bourses moyennes, les plus nombreuses.
Ce qu’il faut alors rechercher, c’est l’amélioration, en qualité et volume, de ces fruits locaux : heureux résultat que la Méthode bouché-thomas se flatte d’obtenir, grâce à l’affranchissement de ses arbres et à leur rajeunissement systématique. (Voir pp. 144 et ss).
Ainsi cultivées, de nombreuses variétés « locales » supplanteront, nous en sommes persuadés, certaines variétés « nationales » et, à plus forte raison, les fruits étrangers. Quelle sont, après tout, les véritables qualités des pommes américaines qu’on nous offre avec force réclame tapageuse? Non pas précisément les qualités gustatives, mais plutôt leur aptitude au transport et à la conservation : cela suffit-il? Si les Américains sont « peu exigeants sur le chapitre de la bouche », nous, Français, nous devons nous attacher à la qualité, et nous montrer difficiles sous ce rapport. C’est par sa classe que s’imposera sur les marchés du monde le fruit de f rance, celui-là surtout de l’arbre mené en bouché-thomas qui, grâce à l’affranchissement et au rajeunissement, acquerra en sus de sa finesse native, les trois qualités commerciales : calibre, coloris, conservation, qui ont fait le succès des pommes d’Outre-Atlantique.
Un dirigisme intelligent, désintéressé, devrait guider les planteurs dans leur choix. Telle région devrait produire de préférence telle variété, parce qu’elle y acquiert le maximum de qualité et des rendements moyens importants; et telle autre région, telle autre variété : il y aurait ainsi production échelonnée de bons fruits dans notre pays, à climats et à sols si divers. Il ne manque pas, « chez nous », d’excellentes variétés, « nationales » ou « locales », susceptibles de concourir à cet étagement d’une production de haute qualité.
L’ASSOCIATION des amis du «bouché-thomas», (Voir p. 171), avec ses groupements régionaux, s’y emploiera; grâce aux observations de ses membres, elle pourra conseiller judicieusement les planteurs qui lui feront confiance : chaque variété sera ainsi à sa place, pour le plus grand profit du producteur et du consommateur, l’un n’allant pas sans l’autre.
En définitive, c’est ce dernier qui impose sa loi : il désire du fruit sain, de calibre moyen, et surtout d’un prix abordable ; et, à la coloration, qui n'est certes pas a dédaigner, il préférera néanmoins le goût. De sorte qu’après avoir mangé d’un fruit, il faut qu’il puisse dire : « J’en mangerais bien volontiers un autre ! »
Voilà le seul bon moyen d’augmenter la consommation des fruits dans le monde.
On s’imagine communément qu’une plantation hâtive favorise la reprise. Si cela est exact dans les sols légers, siliceux, cela s avère en revanche faux dans les sols accusant une teneur en argile un peu élevée (20 à 30 %). L’argile absorbe l’eau, indispensable à la plante, mais assez lentement : ce défaut est d’ailleurs facilement corrigé par des sous-solages qui, de surcroît, l'aèrent et facilitent son réchauffement; en contre-partie, elle retient durant l’été une forte dose d'humidité, précieuse pour une végétation soutenue, et fixe les matières nutritives. Si donc, dans un sol argileux, nous plantions à la Sainte-Catherine où, dit-on, « tout bois prend racine », le sol, battu tout l’hiver par les pluies et le vent, se plombe; quand la végétation se réveillera au printemps, les tendres radicelles de nos jeunes plants auraient peine à se frayer un passage au travers du sol durci. Mais, si notre plantation est effectuée à la fin de l’hiver, le sol, de nouveau remué a l’emplacement de chaque arbre, leur assurera air, chaleur, humidité, conditions d’une bonne végétation; grâce à cette mise en place tardive, les jeunes racines auront tôt fait de prendre possession et d’explorer un sol qui se sera réchauffé plus vite, gage d’un beau développement et, dès l’année suivante, si les conditions atmosphériques sont favorables, d’une récolte, modeste sans doute, mais réconfortante.
Nos jeunes scions vont donc prendre possession définitive du sol, pour la vie : c’est dire l'importance de la préparation de leur demeure.
Il va de soi que le terrain destiné au verger a été au préalable soigneusement débarrassé des herbes envahissantes : chiendent, liseron, etc. car, les arbres une fois plantés, il nous serait très difficile de nous en rendre maîtres.
Si, par suite d’un sous-sol imperméable, le plan d’eau remontait trop près de la surface, il nous faudrait, c'est clair, assainir d'abord le terrain par un réseau de fossés et de rigoles, le drainer complètement au besoin : les flaques d'eau qui séjournent longtemps à la surface après les grandes pluies sont souvent un indice qu'il ne faut pas négliger. Sinon ce serait pour nos arbres la mort à brève échéance par asphyxie de leurs racines.
La première opération s’appelle communément « défoncement ». Défoncer, c’est remuer le sol en profondeur. A l’ordinaire, on se contente de retourner une mince couche de terre : c’est insuffisant pour une plantation d’arbres fruitiers, dont le système radiculaire ira chercher profond sa nourriture.
Mais une remarque s’impose, importante : remuer ne veut pas dire bousculer, bouleverser les sols. Le sol doit rester en surface; le sous-sol, comme l’indique son nom, doit, lui, rester sous le sol, surtout s’il contient de l’argile, fût-ce en proportion moyenne. Car si nous avions ramené de l’argile en surface au moment du défoncement, comment pourrions-nous par la suite travailler facilement, économiquement notre terrain? Intervertir sol et sous-sol, c’est donc faire bien mauvaise besogne : on oublie trop souvent que sol et sous-sol ont chacun sa vie propre, chacun sa fonction, ses bactéries, ses micro-organismes; les différentes couches doivent donc garder chacune sa place respective.
On s’adressera, pour ce travail de défoncement, à la traction soit mécanique, soit animale. Si nous pouvons disposer d’un tracteur de forte puissance, nous retournerons le sol sur une profondeur moyenne de 40 à 50 centimètres : c’est largement suffisant. Mais si nous rencontrons le sous-sol à 30 centimètres, nous ne labourerons qu’à cette profondeur, pour repasser ensuite dans le même sillon, avec une sous-soleuse, qui remuera le sous-sol sur place.
Si nous avions recours à la traction animale, nous utiliserions un brabant, dont on a rem¬ placé un des socs par une fouilleuse : on passe d’abord avec le soc muni du versoir, qui retournera la terre, puis, après avoir renversé le brabant, avec la fouilleuse dans le fond du sillon, et ici encore le sous-sol restera en place.
Ce travail de défoncement doit se faire à l’automne, avant les grandes pluies. Défoncer un sol gorgé d’eau, il est à peine besoin de le rappeler, c’est le rendre impropre à toute culture pour plusieurs années.
Nous profiterons de ce défoncement pour incorporer la fumure prescrite par le laboratoire qui a effectué l’analyse du sol, sans forcer les doses ni apporter d’autres engrais, sous prétexte de donner aux arbres une végétation plus belle ; exception faite pour les engrais à décomposition lente, comme rognures de cuir, déchets de laine, vieille corne, etc. Il est à peine besoin d’insister ici sur le rôle primordial que doit jouer, dans nos vergers, l’humus précieux et sa source de choix : notre bon vieux fumier de ferme. Apporter trop d’engrais chimiques à assimilation rapide serait commettre une grave erreur, quand on pratique l’affranchissement, source économique de vigueur ; ce serait aussi gaspiller de l’argent, car un jeune arbre n’a besoin de nourriture que dans la mesure où son système radiculaire, peu développé et qui n’a encore pris possession que d’un petit volume de terre, est capable de l’assimiler : c’est lorsque sa production s’accroîtra qu'il aura besoin de soutien. (Voir p. 124.)
Le sol ainsi défoncé, en grosses mottes, à l’automne, subira tout l’hiver l’influence bienfaisante des intempéries : vent, pluie, gel, et se tassera lentement.
Il existe un autre moyen d’assouplir et de remuer les sols sans les bouleverser : le défoncement à l’explosif agricole. Mais tous les terrains ne s’y prêtent pas, et il faut choisir son moment. Dans un sol rocheux, perméable, fort bien. Mais dans un sol argileux, c’est le désastre s’il n’est pas, a ce moment, très sec; car la déflagration durcirait les parois de la cavité d’explosion, l’eau séjournerait ensuite dans la poche, amenant l’asphyxie des racines. Il est donc indispensable que ce travail soit fait à l’époque de l’année où la terre est la plus sèche. Puis nous laisserons au tassement tout le temps de se faire.
L’autre préparation du terrain se fera à l’approche des premiers beaux jours : il s’agit maintenant de se créer une réserve de bonne terre de surface, finement divisée, pour combler les trous de plantation.
Voici la terre ressuyée, à la suite d’une période sans pluie, et le soleil semble vouloir nous encourager : passons et repassons avec une canadienne, une herse, un cultivateur à dents vibrantes ou, mieux encore, un pulvériseur à disques ou une fraise rotative : la plantation sera plus facile, plus rapide, et la réussite plus complète, si ce travail préliminaire a été bien conduit. Selon le personnel dont nous disposons et l’urgence de la plantation, nous ferons ce travail sur toute l’étendue du terrain, ou seulement sur des bandes couvrant les futures lignes d’arbres remettant alors à meilleur moment l’ameublissement des interlignes.
Cette double préparation du sol, grossière et en profondeur avant les pluies d’automne, plus fine et en surface à la fin de l’hiver après les pluies, quelques jours avant la plantation, permettra de procéder dans de bonnes conditions à la mise en place des jeunes plants dont la vie va commencer.
Débuter ainsi, c’est aller au succès, car le sol est le garde-manger des arbres. Tout est prêt pour des récoltes soutenues et abondantes.
Nous orienterons, dans la mesure du possible, nos lignes d’arbres du Nord au Sud[2], pour assurer à leurs deux faces un ensoleillement maximum égal et uniforme, du printemps, moment délicat de la floraison, à l’automne où les fruits se colorent : le soleil joue en effet un rôle majeur dans la santé de nos arbres, la coloration et la qualité de leurs fruits.
Lorsque la violence des grands vents est à redouter, il sera préférable d’y dérober les lignes en les orientant dans le sens où ils soufflent, pour n’avoir pas à déplorer leur ébranlement ou la chute prématurée des fruits. On pourrait aussi prévoir des lignes d’arbres brise-vent, constituées par des essences résineuses ou des arbrisseaux à végétation compacte et à racines plutôt pivotantes, pour que celles-ci ne viennent pas concurrencer les arbres du verger : peut-être pourrait-on ainsi respecter l’orientation Nord-Sud ; encore serait-il alors bon, lorsque les arbres fruitiers atteindront un mètre de hauteur, de les renforcer par un fil de fer, qui accroîtra leur résistance aux coups de vent.
Il ne peut y avoir de distances « standard » : à chaque variété il faut donner, suivant le terrain, la possibilité d’étaler sa vigueur native. Nous pouvons déjà nous faire une idée, par ce que nous savons de leur développement en d’autres vergers, de la vigueur moyenne des variétés que avons choisies. L’analyse du sol, fournie par le laboratoire, va nous permettre maintenant de serrer le problème de plus près et de supputer la vigueur probable et le comportement de ces variétés dans notre terrain, sol et sous-sol; il nous sera alors facile de décider des intervalles entre les rangs et des écartements sur le rang, en voyant plutôt un peu grand afin de se ménager, pour les premiers surtout, une marge de sécurité.
Si notre Système recherche la vigueur de l’affranchissement, ce n'est évidemment pas pour la comprimer ensuite à coups de sécateur, mais pour la laisser, par le respect de l'œil terminal, s'exprimer librement.
Dans les plantations trop denses, (et coûteuses) préconisées par d’autres méthodes (ni le tonnage ni la qualité des récoltes n’en sont augmentés), l’enchevêtrement excessif des branches est inévitable, imposant l’intervention, durant l’été, d’une main-d'œuvre qualifié pour éclaircir le fouillis de bourgeons qu’ont fait naître des positions de déséquilibre comme l'arcure, et la suppression inconsidérée de l’œil terminal : jamais en effet, sans ces pincements et cette taille en vert, le soleil ne pourrait accomplir son rôle bienfaisant sur les feuilles, les rameaux et les fruits. N’a-t-on pas écrit que « là où le soleil entre, la maladie n'entre pas ».
Rien ne vaudra jamais l’aération naturelle et l’ensoleillement des plantations à grand écartement. Car, aérer à coups de sécateur, c’est brusquer la nature, c’est exposer brutalement aux rayons du soleil des organes ombragés jusqu’alors et demeurés tendres : cela ne se fait pas sans provoquer des troubles dans la vie des bourgeons et des fruits ; les brûlures viennent parfois comme pour nous les montrer du doigt ; c’est aussi l’arrêt du grossissement des fruits, après la taille sévère des bourgeons en surnombre : supprimer des feuilles, c'est appauvrir la nutrition diminuer dans la même mesure le calibre et la qualité des fruits[3] et compromettre la résistance de l'arbre aux maladie.
Les plantations trop rapprochées ne provoquent-elles pas en outre l’enchevêtrement des racines, plus grave encore que celui des rameaux! Et nul élagage n'est possible sous terre Cette concurrence souterraine épuise rapidement les éléments nutritifs du sol, comment dans ces conditions, nourrir convenablement et économiquement branches et fruits.
Prévoyons donc de larges distances, sans tomber pour autant dans l’excès : il ne faut pas gaspiller de terrain, en perdre fût-ce un mètre carré. C’est ce que permet précisément notre Méthode, avantage précieux pour la petite propriété française.
Une variété à bois érigé peut être plantée sans inconvénient plus rapprochée qu'une variété à bois retombant. Ces dernières, comme la Beurré Giffard pour le poirier, la Reinette du Mans pour le pommier, réclament une augmentation de distance, surtout entre les rangs, car il ne faut pas contrarier leur végétation naturelle, et peut-être, pour soutenir celle-ci, pourrons-nous prévoir un rang de fil de fer à un mètre du sol (ce qui n’est pas indispensable).
D’une manière générale, à égalité de surface allouée à chaque arbre, nous préférons augmenter l’intervalle entre les rangs, quittes à réduire leur écartement sur le rang ; le passage des instruments et des charrois en sera facilité.
Voici les distances moyennes à adopter, suivant la richesse des sols, la vigueur et le port des variétés :
Intervalle entre les rangs | Écartement sur le rang | Densité de plantation à l’hectare | |
Poirier | 2 mètres à 3 mètres | 1 m. 50 à 2 m. 50 | 1.333 à 3.333 |
Pommier | 3 mètres à 4 mètres | 2 mètres à 4 mètres | 0.625 à 1.666 |
Qu’un principe nous guide dans nos prévisions :
Le bouché-thomas authentique se compose d’arbres, plantés en ligne droite, à une certaine distance les uns des autres, dont les branches sont, sur une certaine épaisseur[4], étalées obliquement en rideau à droite et à gauche du tronc, dans le sens du rang. Un ensemble de rangées parallèles et équidistantes d’arbres ainsi agencés constitue un verger en bouché-thomas[5].
Les divers instruments de travail ou de transport devant pouvoir évoluer librement entre ces lignes et passer aisément de l’une à l’autre, les arbres de bout de ligne devront être plantés à une certaine distance de la lisière du champ, de manière à réserver, parallèlement à celle-ci, un chemin de service (appelé, selon les régions, fourrière ou chaintre ), large d’environ 5 mètres, ou les instruments puissent circuler et faire demi-tour.
La végétation des arbres ne devant pas, avec le temps, empiéter sur ce chemin (ce qui aurait pour effet de le rétrécir) il nous faudra, lors du calcul des emplacements des scions de out de rang, ajouter à la largeur de la fourrière (5 mètres) celle du débordement prévu de la végétation, soit : au moins la moitié de la distance adoptée entre les arbres sur le rang, puisque e s branches s’étalent, par parties égales, à droite et à gauche du tronc (fig. 59).
[1]
Nous avons assisté, en 1953 après un hiver abondamment et tardivement pluvieux, à une importante mortalité de jeunes vergers de poiriers, également, le bas des lignes d'une plantation de pommiers de trois ans ; parce que les sous-cols gardaient l'eau.
Le printemps ayant été particulièrement chaud, le chancre « papyracé» trouvant son climat (chaleur et humidité) s’est développé rapidement.
En 1950, hiver tardivement pluvieux également, dans le Bordelais, une jeune plantation de pêchers fut en
partie anéantie parce que l’on ne s'était pas soucié du plan d’eau souterrain qui, traîtreusement, fit ses ravages. Une
simple rigole creusée à 0,60 m, eût sauvé cette plantation.
[2] On pourrait également orienter N-NE, S-SO, afin d’équilibrer non plus l’ensoleillement, mais l’insolation.
[3]
«Les pratiques culturales qui accroissent la surface foliaire » (et c'est bien ce à quoi tend la Méthode
bouché-thomas) « sont recommandables, puisqu'elles déterminent un rendement élevé de fruits d’un calibre supérieur. » (V. C. n° 464, juin 1949, p. 195.)
«On a observé que le poids des fruits était proportionnel au nombre des feuilles : encore faut-il que celles-ci puissent
fonctionner à plein. » (Rebour : La taille des arbres fruitiers, 1945, p. 248.)
«Seul un feuillage abondant et foncé est à même de produire des fruits de qualité. » (G. Rawitscher : Les sources.
de rendement des cultures fruitières, p. 65.)
[4] Le «ventre» de cette sorte de haie peut, sans compromettre son aération et son ensoleillement, atteindre 1 mètre et plus et M. Cuny ne considère-t-il pas d’ailleurs qu’éclairée seulement sur sa face externe, la couronne de l'arbre-tige a une épaisseur utile de fructification d’environ 0,50 m. La situation est ici bien meilleure, la lumière arrivant jusqu'au centre, à la fois par le haut et par la double façade, au travers d’une charpente mieux agencée.
[5] Il est naturellement possible de faire du bouché-thomas en espalier le long d'un mur : il suffit de supprimer les branches gourmandes sans avenir qui naîtraient de son côté. S’il s’agit, non pas de tirer parti d’arbres déjà plantés, mais d'un espalier à créer, on disposera les scions à environ 50 cm en avant du mur, de façon à centrer le poids de la charpente et des fruits et à dispenser les arbres, sans qu’ils en soient déséquilibrés, de prendre appui sur un palissage mural.