Le beau temps des architectures savantes mais peu productives est révolu. Ce que l’on demande aujourd'hui à l’arbre fruitier, c’est de produire bon, beaucoup, vite, longtemps, avec le minimum de main-d’œuvre : bref, d’être rentable.
Car la concurrence à laquelle nous avons inconsidérément donné le branle, voici cinquante ans, porte ses fruits : qui ne se souvient de ces exportations massives d’aigrains qui faisaient alors la joie béate de nos pépiniéristes? Cette arme à deux tranchants s’est aujourd'hui retournée contre nos arboriculteurs qui assistent, impuissants avec leurs méthodes coûteuses et périmées, à l’invasion catastrophique des fruits étrangers : cinquante à soixante mille tonnes par an, pour les seuls fruits à pépins !
La France, avec ses climats divers et privilégiés, n’est-elle pas pourtant le pays d’élection de l’arbre fruitier? ne devrait-elle pas être capable de pourvoir elle-même à ses propres besoins?
C’est que, dans le passé, on y a trop considéré le fruit comme un article de luxe réservé à la table du riche, et pas assez comme l’aliment par excellence, tout chargé de soleil, sain et gorgé de vitamines, indispensable à la santé, reconstituant idéal pour le travailleur, qui se prête avec souplesse aux accommodations les plus variées et dont le jus constitue la plus agréable des boissons, bien supérieure aux alcools qui empoisonnent. Voyez l’enfant, avec son sûr instinct, encore tout proche de la nature : entre le bifteck à l’étal d’une boucherie et la tentation d’un arbre chargé de beaux fruits, hésitera-t-il longtemps?
C’est un fait : sous la pression des importations étrangères, le fruit commence à être mieux connu et plus apprécié ; seul, son prix trop élevé freine encore une consommation qui est pourtant loin d’atteindre celle de beaucoup d’autres pays ; il reste aux arboriculteurs de chez nous un important débouché en perspective; mais ils ne pourront prétendre à satisfaire eux-mêmes une demande croissante qu’en faisant mieux et meilleur marché que la concurrence.
Ce que l’on cherche aujourd'hui, ce n’est plus le gros fruit de luxe et d’apparat, richement pourri d une sève canalisée vers lui par tailles et retailles, à force de main-d’œuvre spécialisée et jouteuse, mais le fruit de calibre moyen, sain et coquet, qu’une technique, moins savante peut-être, B 918 plus économique, permettrait d’offrir à meilleur prix.
Des efforts méritoires ont certes été tentés en cette voie ; mais telle est la force de routines plusieurs fois centenaires, qu’il était bien difficile de s’en déprendre et d’en rompre résolument le charme trompeur : les méthodes proposées ces vingt dernières années sacrifient toutes, qui plus, qui moins, mais tout de même un peu, aux principes sacrés de la taille.
Ses pontifes les plus autorisés et ses thuriféraires les plus convaincus, s’ils arrivent à se mettre d’accord, ne sont pourtant guère encourageants, il faut l’avouer, lorsque, après nous avoir gavés de prescriptions minutieuses, ils terminent sur un aveu d’impuissance à peine voilé : « la taille, même bien comprise, conduit souvent à des résultats tout autres que ceux qu’on attendait, quand ce n’est pas à des échecs systématiques » ; et plus loin : « tous les conseils que nous donnerons, tous les exposés que nous ferons, malgré leur détail, ne seront pas des guides infaillibles[1]».
À quoi bon, dès lors, s’attarder ? Il n’y a pas deux années qui se ressemblent, et vous taillez sans savoir ce que sera celle qui vient, sèche ou humide, et l’intensité de la circulation de la sève!
Le problème était à repenser en entier.
Nous mettre à l’école de la Nature, étudier patiemment le comportement de l’arbre et observer ses réactions, sympathiser pour ainsi dire avec lui afin de le mieux comprendre, tel fut notre principe dans la mise au point de notre Méthode.
C’est au pied de ses arbres qu’on juge l’arboriculteur ! L’abondante documentation photographique dont nous avons voulu illustrer notre exposé emportera, nous en sommes persuadé, la conviction
[1] Champagnat : La taille des arbres fruitiers , pp. 33-34.